— La cuisine au vin —
Depuis l’Antiquité, on emploie le vin en cuisine. Athénée signale le vin cuit comme un des principaux condiments que le cuisinier grec ou romain doit avoir à sa disposition. Horace a donné la recette de la sauce romaine dite « sauce simple » : « … d’huile douce qu’il convient de mélanger de gros vin et de saumure. » En la faisant bouillir avec des herbes et du safran on obtiendra « la sauce double ». Ce sera le civum conditum des Byzantins qui, munificents, y ajoutaient poivre, girofle, cannelle, nard… Leurs bouillies d’épeautre, épicées et miellées, se relevaient de vins aromatiques.
Des sauces aux vins sont bénies au Xe siècle dans la longue énumération des mets que contient le Benedictiones ad mensam, de l’abbaye de Saint-Gall en Suisse. La plupart des recettes médiévales comme celles du Viandier de Taillevent, du Ménagier de Paris, par exemple, contiennent du vin : pour la « dodine rouge », « Prends du pain blanc et le fais rôtir bien roux sur le gril et le mets tremper en fort vin vermeil… » ; « l’anguille renversée » cuit au vin vermeil. Jeanne d’Arc aimait les soupes au vin, pain trempé ; elle « fit seulement mettre du vin dans une tasse d’argent où elle mist seulement la moitié d’eau et cinq ou six souppes dedans qu’elle mangea et ne point autre chose ». Le haran, au XIIIe siècle, se faisait cuire au vin blanc, prémice de cette dévolution du vin blanc au poisson.
Le vin blanc est employé dans Le cuisinier françois, entre autres pour les « Œufs Filez » : « Prenez une chopine de vin blanc avec un morceau de sucre, faites-les bien bouillir ensemble, puis cassez les œufs…», et n’oublions pas toutes les gelées de viande. Quant à Alexandre Dumas, il range parmi les grandes sauces au vin celle dite « à la genevoise », pour laquelle il précise, cependant, que les Genevois n’emploient un mélange de bordeaux et de champagne dans cette matelote réduite qu’au cours de la rédaction « de cette interminable et glorieuse pancarte » : en réalité, « c’est pour se donner par écrit des airs de magnificence. Lorsque des Genevois peuvent se décider à faire les frais de deux bouteilles, de vin de Champagne ou du vin de Bordeaux, c’est pour les boire en compagnie et nullement pour les verser dans le chaudron de leur petite cuisine ».
Le vin contient de la glycérine. Il apporte aux sauces un liant qui permet alors d’économiser les matières grasses. Le vin est parfumé. Il permet les préparations moins ou pas salées. Le vin contient du tanin, surtout lorsqu’il a cuit. Il active la digestion. Le vin contient de l’alcool, mais ici très peu, du fait de l’évaporation de la cuisson. Il stimule les papilles gustatives donc met en appétit. Il relève la saveur des aliments et facilite la digestion des graisses. Il est excellent pour le moral.
Enfin, Alexandre Dumas a, peut-être, dit en deux lignes tout ce qui pouvait être dit sur le vin : « Il s’agit du vin, c’est-à-dire la partie intellectuelle du repas. Les viandes n’en sont que la partie matérielle. » Harmonisons les mets aux vins et non les vins aux mets. Ces derniers ne sont que des faire-valoir.
— Le vin et le Bon Dieu —
Si le vin de « France » était du vin courant, parmi les producteurs des crus de Bourgogne, de la meilleure qualité, le clos-vougeot témoignait de la plus grande réussite. Le prieuré de Clos-de-Vougeot qui abrite à présent la célèbre confrérie des Tastevins fut construit en 1110 par les cisterciens au milieu des vignes données par le seigneur de Chamballe. Le pape Urbain V ne voulut pas retourner à Rome, de peur d’être privé de ce nectar, à ce que dit Pétrarque (« qui boit bon vin, Dieu voit », telle est la devise ici) ; depuis la Révolution, la tradition veut que tout militaire passant devant ses murs présente les armes.
Lorsque saint Bernard accomplissait son noviciat, il piochait, taillait, fumait comme les autres frères dans la Romanée offerte par Alix de Vergy, duchesse de Bourgogne. Les cisterciens, gens organisés entre tous…
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Maguelonne Toussaint-Samat