Les choses ont changé aujourd’hui. Déjà en 1925, Henri Bachelin, hommes de lettres du Morvan, le pressentait dans Le Mercure de France : « Je m’en tiendrai à la relation des coutumes dont beaucoup ont disparu, dont plusieurs subsistent, tout en étant susceptibles de tomber à leur tour. » Toutefois, la fête de Noël, restée familiale, connaît encore cette dimension sacrée qui rend proches les souvenirs précieux de l’enfance et ceux des êtres chers disparus. Temps hors du temps, Noël marque la période sombre, et pourtant essentielle, du basculement du calendrier au solstice d’hiver dans l’hémisphère Nord, ces Douze Jours qui annoncent une nouvelle année : les lumières, l’abondance, la générosité, un regard inhabituel sur l’enfance – la vie à venir – et sur les ancêtres – la vie passée – caractérisent ces journées. Dans ce livre, de nombreuses traditions sont décrites à l’imparfait : délaissées souvent par les générations postérieures à la Seconde Guerre mondiale, elles appartiennent en effet « au passé », avec tout ce qui est sous-entendu dans ce vocable suscitant tant la nostalgie que le rejet. Alors que certaines traditions sont difficiles à dater tant elles sont anciennes, d’autres au contraire, bien installées dans nos croyances, ne datent que du XIXe ou du début XXe siècle. Comme dans le temps, le flou règne parfois dans l’espace ! La région est mentionnée, quand c’est possible, mais il peut s’agir de coutumes très locales ou, au contraire, d’usages empruntés aux voisins par contamination. En dehors de tout ce qui concerne la Nativité (messe de Minuit, crèches, chants, pastorales), leurs racines puisent souvent parmi diverses coutumes inspirées, dès les temps préchrétiens, par le solstice d’hiver et le changement d’année. On y lit sans peine l’espoir d’une reprise de la végétation et du retour de jours plus longs, de la chaleur, de la prospérité et de la fécondité, de tout ce qui était de première importance pour des populations essentiellement paysannes. En effet, au moment de Noël, la longueur du jour est courte dans nos contrées, et la nuit au contraire démesurément longue. Le soleil semble s’être arrêté dans sa course lors de ces journées d’égale longueur, comme le veut l’étymologie latine du mot « solstice » (sol stare). « à la Saint-Thomas (alors le 21 décembre), Jou et neu sont airâtas », disait-on en Franche-Comté. La présence trop longue de l’obscurité, du froid et de la stérilité inquiétait pour l’avenir, ainsi que pour la survie des générations, et Noël permet de conjurer ces phénomènes. « La lumière va repartir du bas du ciel », écrivait Henri Pourrat.

à partir du ive siècle, aux coutumes domestiques du solstice d’hiver (bûche dans la cheminée, grands repas, verdure dans la maison) s’est ajoutée, sans les faire disparaître, la fête religieuse qui célèbre la Nativité de l’Enfant-Jésus à Bethléem il y a plus de 2000 ans. Placée volontairement à cette date dans les années 336, elle couvrait d’anciennes célébrations liées au solstice et connues à Rome à cette époque : les Saturnales, qui fêtaient dans les familles le dieu Saturne et le retour du temps mythique de l’âge d’Or, quand maîtres et esclaves étaient égaux, ainsi que le culte venu de Perse au dieu Mithra, Sol Invictus (« Soleil invaincu ») né de la pierre un 25 décembre. La première mention de la Nativité le 25 décembre – VIII Kal. Jan., natus Christus in Betleem Iudae (« VIII des calendes de Janvier, naissance du Christ à Bethléem en Judée ») – figure en 354 dans le calendrier « philocalien », almanach d’un Romain nommé Valentin, illustré par l’artiste grec Furius Dionysius Philocalus. La fête religieuse a permis ensuite d’établir un calendrier plus étendu, devenu immuable, qui va de l’Avent jusqu’à la Chandeleur. Se trouvant progressivement christianisées, de nombreuses traditions ont été par la suite chargées de nouvelles significations. Au milieu du Moyen âge, la fête de la Nativité prit le nom de « Noël », du latin Natalis dies, jour de naissance. La première attestation connue est donnée dans la Vie de saint Brendan au début du XIIe siècle : al Nael Deu (« à la naissance de Dieu »). Un peu plus tard au XIIIe siècle, dans la Vie de sainte Marie l’égyptienne, Rutebeuf écrivait de l’Enfant-Jésus : C’est cil qui nasquit a Noei. On donne aussi au mot « Noël » l’étymologie possible de l’adjectif « nouvel », comme semblent l’indiquer certaines langues dialectales (nouvé, noué, noié), ce qui ne serait pas surprenant à l’aube du Nouvel An, expression que l’on retrouve dans l’exclamation ancienne d’allégresse Noël !, signifiant « Heureuse nouvelle ! ». Parfois la fête de Noël porte un nom dérivé de calendes (du latin calendas, premiers jours du mois) dans le Sud et Sud-Est de la France, comme en Savoie Chalande, Thalande, Stalinde ou Stalindé, dans le Briançonnais Chalendos et dans le Dauphiné Chalandier, Chalando ou Chalandou.

Le grand folkloriste Arnold Van Gennep († 1957) avait consigné en 1943 dans son Manuel du folklore français toutes les coutumes connues en France concernant les différents cycles calendaires et, parmi eux, l’important cycle des Douze Jours. Ce travail, resté inachevé, a été publié en 1988 grâce à Bernadette Guichard qui en a terminé la rédaction. Le plan de notre livre s’est appuyé sur cet important relevé, afin de ne pas oublier d’anciens aspects des fêtes de Noël, mais nous avons voulu montrer ici l’évolution depuis les années 1950. Les changements sont considérables !

Suite de l’avant-propos