Histoire du Père Noël

Nadine Cretin

 

    Nadine Cretin est historienne, spécialisée en anthropologie religieuse et auteur de nombreux livres sur les fêtes et traditions occidentales, dont celle de Noël (1). Elle nous propose ici un ouvrage à l’iconographie rare et riche, une histoire du Père Noël.

    Ce titre est en réalité une forme de gageure, car comment faire l’histoire d’un personnage qui n’est ni religieux – bien qu’il ait tissé des liens avec un certain saint Nicolas –, ni mythologique – car il n’existe pas de récit de fondation comme le rappelle Claude Lévi-Strauss (2) dans un article célèbre ? Il n’appartient pas non plus à un folklore régional précis. Ce personnage est en réalité un modèle hybride passionnant car il emprunte à « diverses personnifications de l’hiver, de la nuit, du retour espéré de la lumière et de la prospérité ». Dès l’introduction, Nadine Cretin rappelle que derrière ce qu’elle nomme un « syncrétisme patient », il est impossible « d’établir un lien solide entre les étapes qui ont abouti à la création de ce distributeur de cadeaux tel que nous le connaissons aujourd’hui ». Cela étant dit, l’auteur nous propose un inventaire minutieux et érudit des différentes figures mythologiques, folkloriques et religieuses qui partagent avec le Père Noël un certain nombre de constantes : l’âge (c’est un vieillard), la barbe blanche pour les hommes (car les personnages féminins existent aussi, bien qu’en moins grand nombre), les vêtements chauds et la tête couverte, la capacité à se déplacer dans les airs, ainsi que la générosité souvent teintée de sévérité. Tous ces motifs vont finir par converger et se recomposer pour créer le Père Noël actuel, célébré aujourd’hui dans le monde entier et qui n’évolue plus guère depuis les années 1950.

    Quatre chapitres composent l’ouvrage : le premier, intitulé « Une histoire très ancienne », débute par le rappel des célébrations antiques du solstice d’hiver (libertés de décembre et Saturnales romaines) et celui de l’importance des divinités orientales solaires comme Mithra, dieu perse né un 25 décembre d’un rocher, ou scandinaves tel Odin, Wodan chez les Germains. Nadine Cretin revient également assez longuement sur ces « rois éphémères », personnages bien réels cette fois, acteurs principaux de la « fête des fous » dès le XIIe siècle, comme l’Abbé de Liesse, de la Malgouverné, de la Déraison, qui inversaient temporairement la hiérarchie ecclésiale.

    Si ces « prélats festifs » présentent quelques lointaines relations avec le Père Noël, c’est sans nul doute à travers une lecture diachronique à l’instar de celle proposée par Claude Lévi-Strauss qu’elles peuvent apparaître. Alors que la fonction essentielle de l’Abbé de Liesse était de « commander les excès », écrit-il, ce personnage réel et jeune s’est transformé en effet en un « vieillard mythique », ou un « ancêtre bienveillant », chargé, lui, « de sanctionner la bonne conduite » [1586] de nos enfants.

    Avec saint Nicolas qui ouvre le deuxième chapitre, les fils sont plus aisés à renouer car le saint est depuis très longtemps mentionné comme un donateur de nourriture en Europe à des dates hivernales. Saint Nico- las dont la légende est plus fournie que la biographie est aussi un faiseur de miracles où les enfants jouent parfois un rôle important comme dans celui, bien connu en Lorraine, du boucher et des trois petits-enfants. Mais l’intérêt de cette figure distributrice tient également à son « bruyantacolyte »,personnageénigmatiqueet sombre, dont les noms varient selon les pays, Hans Trapp en Alsace, Rasselbock en Souabe, Knecht Ruprecht en Allemagne, Pierre le Noir aux Pays-Bas, etc. Concernant l’apparition du Père Noël lui-même, bien qu’il ne soit pas lié à une date précise, la mention la plus ancienne figure, d’après Van Gennep, dans un motet d’Adam de la Halle (Adam le Bossu) de la seconde moitié du XIIIe siècle,chanson de quête écrite en dialecte picard qui parle d’un Sires Noeus. Attesté dans différentes régions françaises dès le XIXe siècle, celui qu’on appelle aussi « bonhomme Noël », débarrassé du père Fouettard mais qui emporte toujours quelques baguettes punitives à côté des cadeaux de sa hotte ou de son sac, cohabite encore avec des figures régionales comme le Père Janvier ou le Père Chalande. Il finira d’ailleurs par les évincer tous dans les années 1950.

    Le dernier et cinquième chapitre se clôt sur l’invention de Santa Claus aux États-Unis au début du XIXe siècle, dont la physionomie doit autant aux illustrateurs comme Thomas Nast, Robert Weir ou, plus près de nous, Norman Rockwell, qu’aux écrivains comme Washington Irving, Tolkien ou encore au très austère et inconnu professeur d’hébreu et pasteur épiscopalien new-yorkais Clement Clarke Moore qui, en 1837, fut l’auteur anonyme du fameux poème : A visit from Saint Nicholas, que les enfants américains se récitent encore aujourd’hui.

    Santa Claus naquit ainsi, d’abord comme saint Nick, plus proche du lutin que du personnage que Coca-Cola vulgarisera dès la fin des années 1930 et surtout 1950. À cette époque, la France du plan Marshall le trouva fort à son goût jusqu’à susciter la colère des autorités ecclésiastiques, qui l’accusèrent de détourner le sens chrétien de Noël et décidèrent de brûler son effigie sur le parvis de la cathédrale de Dijon le 24 décembre 1951. Tel un roi de carnaval, un hérétique ou un sorcier, le Père Noël fut sacrifié par le feu, confirmant ainsi, comme l’écrira l’année suivante Claude Lévi-Strauss, ce personnage dans ses origines païennes. Le lendemain, il ressuscita sur les toits de l’hôtel de ville et commença une carrière commerciale sans précédent.


Martyne Perrot


Centre Edgar Morin Équipe de

l’Institut Interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain

(IIAC) EHESS-CNRS

perrot@ehess.fr





1. Le livre de Noël. Traditions de l’Avent à la Chandeleur, Paris, Flammarion, 2001 [1997].

2. Claude Lévi-Strauss, «Le Père Noël supplicié», Les Temps modernes, mars 1952 : 1573-1590.