Histoire du Père Noël


Nadine CRETIN

 

Voilà enfin un livre savoureux et érudit sur l’histoire du Père Noël.

Un livre dont la citation de Claude Lévi-Strauss mise en exergue par l’auteure donne la mesure de la profondeur anthropologique du sujet traité, avec une remarquable finesse, par Nadine Cretin : « Interrogeons-nous sur le soin tendre que nous prenons au Père Noël, sur les précautions et les sacrifices que nous consentons pour maintenir son prestige intact auprès des enfants [...]. Cette croyance où nous gardons nos enfants que leurs jouets viennent de l’au-delà apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà sous prétexte de les donner aux enfants. Par ce moyen, les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre, laquelle consiste d’abord à ne pas mourir »1. Cet ouvrage aux illustrations magnifiques part ainsi à la recherche des racines d’un mythe monumental qui ne se limite pas à une simple description du bonhomme barbu. Avec passion, l’auteure, historienne et anthropologue, fait entrer son lecteur dans un univers fascinant des rites et des croyances liés à Noël, déployés autant par le texte que par les images.

    Au point de départ de la construction du Père Noël, un syncrétisme patient de nombreuses personnifications de la nuit-hiver et du printemps-lumière. Les personnifications indo-européennes de la souveraineté sont en effet à l’origine d’une première forme d’évergétisme. Associant solstice d’hiver et royauté, la Grèce et la Rome anciennes connaissent à leur tour des figures bienfaitrices et pourvoyeuses de dons. Sont par exemple revisitées les antiques fêtes romaines des Saturnales au cours desquelles on s’échangeait des cadeaux, ou les rites qui voyaient l’élection de rois éphémères au moment du solstice d’hiver, non sans évoquer le retour à l’âge d’or d’un temps primordial. La période des douze jours correspondant aux fêtes païennes liées au solstice d’hiver donnait ainsi lieu à toutes sortes de festivités à caractère magique.

La christianisation de l’Empire romain conduit progressivement à développer un cycle liturgique autour de la fête de l’Épiphanie fixée au 6 janvier : la venue des rois mages offrant leurs cadeaux à l’enfant Jésus né dans la Crèche. C’est ultérieurement, à partir du XIe siècle et du développement de l’attention portée à la dévotion du Christ enfant, que les enfants sont progressivement associés au cycle festif, liant désormais les fêtes de la Nativité (25 décembre), des Saints Innocents (28 décembre) à l’Épiphanie (6 janvier).

            Parallèlement, l’importance accordée aux saints attachés à la protection de l’enfance conduit à une nouvelle étape de la biographie du Père Noël. À cet égard, saint Nicolas constitue une figure emblématique du lien effectué entre sainteté et enfance. Plusieurs épisodes de la vie de saint Nicolas montrent ses miracles, comme celui de la célèbre légende des trois enfants mis au saloir par un boucher et ressuscités par saint Nicolas. Saint Nicolas dont le culte se répand en Lorraine et dans les régions rhénanes finit par jouer, à l’époque moderne, le rôle de l’antique évergète distributeur de cadeaux. Il est alors progressivement confondu avec d’autres figures pourvoyeuses de dons au moment de l’hiver, préfiguration ou promesse (de printemps, de fertilité, de fécondité, de vie) à venir, notamment celles de Carnaval. L’ami des enfants est aussi associé à un autre personnage emblématique qui fonctionne comme son envers: le terrible père Fouettard. Dans les croyances européennes, saint Nicolas, patron des enfants et des écoliers, rejoint à son tour tout un imaginaire de vieilles croyances d’origines nordique et germanique. Ce sont celles qui convoquent, par exemple, la complexe figure d’Odin / Wodan, le maître de la mort qui se déplace dans les airs sur un cheval à huit jambes. Ou encore, le personnage mythique sombre et inquiétant du « Chasseur sauvage » figuré en vieillard barbu : les croyances décrivent sa manifestation pendant les douze jours séparant Noël de l’Épiphanie, non sans réactiver la vision de la Mesnie Hellequin, de la Chasse Arthur ou de la Chasse du roi Hérode. À la croisée du ciel et de la terre, des revenants et des saints, c’est bien, en définitive, le don de la vie et la conjuration de la mort que ces coutumes cherchent à célébrer.

            Saint Nicolas, comme le montre avec brio Nadine Cretin, est ainsi loin d’être le seul distributeur de cadeaux dans l’ensemble de l’Europe, au moment du solstice d’hiver – fonction que lui empruntera le Père Noël. Dans la Catalogne espagnole, c’est sainte Catherine d’Alexandrie qui lui vole la vedette. En Grèce, c’est saint Basile, et en Suède, sainte Lucie joue le même rôle... À mi-chemin du miraculeux et du merveilleux, la « Dame de Noël » évoque alors tout autant l’ange de l’enfant Jésus des légendes médiévales que l’image de la fée des contes du Moyen Âge.

À cet endroit de l’ouvrage, l’auteure mène une passionnante enquête sur les figures des fées sorcières d’origine folklorique de l’époque moderne, personnifiant l’année nouvelle et apportant la nuit, par la cheminée, friandises, jouets ou baguettes et oreilles d’âne : Chauchevieille ou Tantarie dans le Jura, Frau Holle en Allemagne, Babouchka en Russie, Befana en Italie… Vieilles femmes mais aussi hommes à la barbe blanche symbolisant sagesse et expérience (Bonhomme Janvier, Père Chalande, Father Christmas, Knecht Ruprecht...) s’avancent vers les temps contemporains pour donner au « Père Noël » quelques-uns de ses attributs légendaires : la hotte chargée de cadeaux, la barbe blanche, la traversée du ciel. Les nains, lutins ou elfes facétieux des folklores scandinaves et germaniques complètent le tableau. L’imagerie du XIXe siècle leur donne une cape blanche et un bonnet de couleur rouge, un habit de Père Noël.

    Au début du XXe siècle, tous ces visages fusionnent ou s’effacent au profit d’une seule figure : le Père Noël. Celle-ci est forgée outre-Atlantique, « permettant ainsi à l’Amérique de devenir une sorte d’arbitre du Noël mondial ». Les colons du Nouveau Monde ont importé, dès le XVIIIe siècle, le saint Nicolas ou santa Klaus de la vieille Europe. Le Père Noël jovial et rebondi devient alors à l’image d’une société de consommation qui ne connaît plus le temps des privations au lendemain des deux guerres mondiales.

    En 1931, Coca-Cola orchestre, à grands renforts médiatiques, une campagne de publicité qui distribue dans le monde entier la fameuse image du Père Noël rouge et blanc... non sans alimenter les polémiques. Américanisé, il n’est en effet pas du goût des totalitarismes soviétiques. Il déplaît aussi aux milieux catholiques qui critiquent l’usage commercial et païen d’un personnage qui emprunte aussi ses traits à la figure d’un Dieu le Père, incarné dans l’enfant Jésus de la crèche un peu trop oublié dans l’histoire... Mais, il est aussi tout proche des antiques « gaspillages cérémoniels » pour annoncer une année de prospérité, mais aussi d’une façon ou d’une autre, une certaine forme de proximité entre la terre et le ciel...


Sylvie Manuel-Barnay

Revue l’Homme



1 / Cf. Claude Lévi-Strauss, « Le Père Noël supplicié », Les Temps modernes,1952, 77 : 1572 - 1590.