« Petit Papa Noël, quand tu descendras du ciel… » On connaît la chanson. On sait moins de choses sur ce personnage multiforme dont Claude Lévi-Strauss disait : « Interrogeons-nous sur le soin tendre que nous prenons du Père Noël, sur les précautions et les sacrifices que nous consentons pour maintenir son prestige intact auprès des enfants… » Le docteur en anthropologie religieuse Nadine Cretin fait mieux découvrir dans son dernier ouvrage (1) ce généreux vieillard qui apporte les cadeaux dans les souliers au pied de la cheminée et dont l'image ne s'est figée que dans le premier tiers du XXe siècle.
« Sud Ouest Dimanche ».
Qu'est-ce qui a conduit l'historienne et anthropologue que vous êtes à vous intéresser au Père Noël ?
Nadine Cretin.
C'est une longue histoire, qui a commencé pour moi en 1984. À l'époque, alors que j'étais étudiante, j'avais écrit un article sur le mariage pour « Madame Figaro ». Tout naturellement, j'avais rencontré sainte Catherine, patronne des jeunes filles célibataires de plus de 25 ans. Dans le nord de la France, saint Nicolas endosse ce rôle pour les vieux garçons de 30 ans. Je voulais en savoir plus. Je n'ai d'abord trouvé que peu de chose, je marchais un peu sur des œufs. Il n'y avait pas de point de départ, pas de date précise. Cela a attisé ma curiosité. Et travailler sur saint Nicolas vous fait rapidement croiser le Père Noël.
Quelles sont donc ses origines ?
Elles sont très lointaines et liées au solstice d'hiver. Il y a toujours eu des personnifications de ce moment pendant lequel l'obscurité règne avec les jours les plus courts de l'année mais annonciateurs de renouveau. C'est aussi la période où l'enfant, le petit, le fol est mis à l'honneur. Les personnages qui le représentent sont éphémères et prennent le rôle d'un roi. Ils sont souvent généreux, toujours prêts à donner des noix, des noisettes, des oranges. Ils ont aussi leur double, pas forcément méchant, mais inquiétant. Il est représenté couvert de paille ou de suie, semblant venir tout droit de la forêt ou en tout cas d'un monde non civilisé. Il témoigne de la crainte de savoir de quoi est fait l'au-delà. Noël était aussi le moment des divinations où l'on se demandait, par exemple, si le blé allait pousser droit comme à la Sainte-Barbe, le 4 décembre. Tout était interprété : si la bûche dans la cheminée faisait beaucoup d'étincelles, c'était bon signe.
Pourquoi avoir titré votre livre « Histoire du Père Noël » au singulier alors que le pluriel aurait été sans doute plus adéquat ?
Oui et non. Au cours des âges il y a effectivement de multiples personnifications. Mais au XXe siècle c'est incontestablement l'homme, le Père Noël américain (Santa Claus) qui s'est fixé dans l'imaginaire. Coca-Cola n'a pas inventé cette image, mais la campagne de publicité qui est partie d'Atlanta dans les années 1930 a eu le mérite, si je puis dire, de la répandre dans le monde entier.
Dans cette histoire, il y a cependant un personnage incontournable, saint Nicolas…
On dit très souvent qu'il est l'ancêtre du Père Noël, que c'est le plus ancien. Ce n'est pas vrai. C'est saint Nicolas qui s'est raccroché à des croyances antérieures. Le simple fait qu'il soit accompagné du Père Fouettard démontre qu'on n'a pas affaire à un saint. En revanche, cet évêque de Myre, en Asie mineure, a réellement existé. Arrivé en Europe via Bari, en Italie, puis la Lorraine, son culte s'est apposé à d'autres croyances des régions germaniques. Parmi elles, celle du dieu Odin qui se déplaçait dans les airs sur son cheval à huit jambes. C'est comme cela que saint Nicolas a gagné sa faculté à se mouvoir dans le ciel. En France ou en Belgique, sa monture est un âne ; en Hollande il s'agit d'un cheval blanc. Dans ce pays, contrairement à l'Irlande, il n'est plus accompagné du Père Fouettard mais de bouffons. Il débarque d'Espagne avec sa cargaison d'oranges et il n'est plus du tout question de faire peur aux enfants.
Le Père Fouettard ne serait-il pas simplement le double obscur du Père Noël ?
Très longtemps, le Père Noël, que l'on appelait plus communément le Père Janvier ou le Bonhomme Janvier, endossait ce personnage double. Il apportait des cadeaux mais avait des baguettes à la ceinture, prêt à punir si l'enfant n'était pas sage. Ce n'est qu'avec le Père Noël américain, très commercial, que vont progressivement disparaître ses attributs de punition.
L'Église a-t-elle toujours accepté ce concurrent païen ?
Non. Mais, curieusement, il aura fallu attendre les années 1950 pour qu'elle s'en offusque. Au début du XXe siècle, alors que la séparation de l'Église et de l'État était à son apogée, on trouve sous la plume d'un clerc l'Enfant Jésus apportant les cadeaux avec son fidèle messager le Père Noël. En revanche, dès 1951 et jusqu'à 1970, la guerre fait rage. Dans beaucoup de familles catholiques on croit aux fées, au Petit Chaperon rouge mais pas en ce personnage à longue barbe blanche, tout de rouge vêtu, qui est totalement diabolisé. C'est dans ce contexte que le 23 décembre 1951, après avoir été condamné par le clergé local pour usurpation et hérésie, le Père Noël a été brûlé sur le parvis de la cathédrale de Dijon.
Une autre bataille est toujours menée dans le Grand Nord, qui consiste à s'approprier le lieu de résidence du Père Noël. Qu'en est-il ?
Effectivement, divers pays de l'Arctique se disputent ce privilège pour faire rentrer des bénéfices. Mais c'est la Finlande qui a la plus grande réputation. Même s'il ne sort pas beaucoup, le fait d'avoir fait habiter le Père Noël sur terre a désacralisé le personnage. Il a une femme, des lutins, des rennes… Il s'est banalisé avec une vie très organisée. Ce n'était pas le cas à l'origine, quand sa signification était liée au solstice.
Le Père Noël a évolué. Est-ce aussi le cas pour les cadeaux distribués dans la nuit du 24 au 25 décembre ?
Plutôt que des cadeaux alimentaires, les jouets se sont peu à peu imposés. Cette évolution remonte essentiellement à l'après-Seconde Guerre mondiale. Mais ce changement s'est dessiné déjà dans les années 1850 dans l'Angleterre victorienne. Charles Dickens n'y est pas étranger. Il a mis à l'honneur les enfants pauvres en même temps qu'Andersen avec « La Petite Marchande d'allumettes ». La sollicitude de Noël venait de naître. À cette époque, l'aristocratie a commencé à déposer des poupées et toutes sortes de jouets dans les souliers près de la cheminée. Dans certaines régions, le cadeau arrivait mais on ne dévoilait pas son origine. Il était le présent tombé du ciel, comme un porte-bonheur.
Question très personnelle : croyez-vous au Père Noël ?
Dans mon enfance catholique, on me parlait surtout de Jésus. Mais j'ai toujours bien aimé le personnage du Père Noël. Au point de chercher à comprendre, comme pour saint Nicolas, sa générosité. Un doctorat d'anthropologie religieuse m'a permis de mieux le cerner.
Et pour l'avoir côtoyé, je ne peux qu'y croire.
Journal Sud-Ouest
Jacky Sanudo
Un ouvrage somptueusement illustré, référence incontournable deux ans après sa publication, et qui évoque l’origine complexe d’une de nos traditions les plus répandues.
Non, contrairement à une légende tenace, le père Noël n’a pas été inventé par Coca-Cola, même si la firme a contribué à fixer l’image que nous lui connaissons. Sa légende se perd, selon l’expression consacrée, dans la nuit des temps. C’est le mérite de Nadine Cretin d’avoir jeté dans cette nuit quelque lumière, et de nous donner un livre que son accessibilité destine au plus large public, mais qui n’en présente pas moins toute la rigueur scientifique qu’on peut attendre d’une historienne au Centre Edgar Morin (CNRS) de l’École des hautes études en sciences sociales.
À cela s’ajoute une iconographie aussi riche que somptueuse et parfois surprenante.
D’histoire, le père Noël n’en a d’ailleurs pas véritablement. Comme Lévi-Strauss l’avait déjà remarqué, son origine ne peut être rapportée à aucun mythe identifiable, et la diversité géographique aussi bien que culturelle du personnage rend vaine toute tentative d’établir une généalogie cohérente et unifiée.
En revanche, il réalise la synthèse d’apports divers qu’il n’est pas toujours impossible d’identifier : la figure du vieillard à barbe blanche, dispensateur de bienfaits par voie aérienne, se retrouve dans différentes traditions. Nul n’ignore sa parenté avec saint Nicolas. Mais on a un peu oublié son inquiétant compagnon : le père Fouettard, dont l’auteure explore les liens troubles avec le bonhomme Noël.
De même, on ne sait pas toujours à quel point ce dernier procède d’« une histoire très ancienne » (titre du premier chapitre du livre). Il doit probablement quelque chose au culte de Mithra (une divinité perse née… un 25 décembre), aux dieux germaniques ou scandinaves (Wotan, Odin) ainsi qu’aux fêtes romaines des saturnales.
Vous apprendrez aussi que le père Noël a des cousins, par exemple en la personne de Santa Claus aux États-Unis. Plutôt païen, donc, ce père Noël, ce qui lui a valu quelques ennuis avec l’Église catholique : on est allé jusqu’à en brûler l’effigie – un soir de Noël (1951) bien sûr – sur le parvis de la cathédrale de Dijon.
Le père Noël ne poussera sans doute pas le narcissisme jusqu’à distribuer sa propre biographie aux enfants, mais les adultes pourront s’instruire de la richesse de ce livre et se délecter de sa beauté.
Patrick Dupouey, philosophe.
L’Humanité Dimanche